Belle vue de la maison. De la chance d’être là ! Bien loin de Brest et de ses souffrances.
Car j’ai beaucoup souffert, jusqu’à ce qu’on découvre que j’avais une hyperthyroïdie et que mes délires devaient en provenir…
Imaginez Brest, la vie, le gris, la pluie. Je marche, ô combien j’ai marché dans Brest que je connais par cœur. Tout à coup, je me sens partir. Une force m’attire vers l’arrière de ma tête et j’ai l’impression de voler, je fixe la rue, non, ne pas partir en arrière. Tout me paraît floconneux, comme s’il y avait un voile entre la réalité et moi. Je longe un hôtel où j’ai passé une nuit affreuse, j’avais quitté mon appartement infesté de moustiques que je croyais équipés de caméras… J’ai passé la nuit à lutter pour ne pas sauter par la fenêtre.
Je suis une personne résiliente. J’ai eu beaucoup de chance, de ne pas me faire tuer, de ne pas attraper le sida. J’ai risqué ma vie, plusieurs fois. Une fois, un black m’a menacée d’un couteau.
Je chante, je danse, je crois être violée. C’est horrible. Je ne souhaite à personne de vivre ce que j’ai vécu. Quelles angoisses…
Je marche, je marche dans les rues. J’ai une voix dans la tête, celle de mon amour du moment. Il me guide, il me parle, il devient le passant, c’est lui, il s’est caché en un autre mais c’est lui ! Je marche, j’ai jeté mes clefs, la mafia me poursuit, j’erre dans Brest, j’ai faim, j’ai froid, je ne sais où aller. Je m’effondre dans la rue, épuisée. On s’attroupe autour de moi, on appelle les secours. Ils arrivent, ils me demandent où je veux aller. A l’hôpital militaire, pourquoi pas ?
Endroit affreux. Je luttais, je croyais qu’ils voulaient me battre, j’ai toujours eu peur des militaires. La nuit, j’ai passé la fenêtre pour me cacher dans le jardin. C’est drôle, j’ai retrouvé des œufs de Pâques qu’on avait dû cacher dans la végétation. Au matin, j’ai vu la sentinelle à l’entrée, j’ai eu peur, je suis rentrée dans ma chambre, personne ne s’est aperçu de ma disparition.
Vivre avec ces souvenirs, ceux là et tant d’autres.
Et puis l’hôpital, où tout s’arrête. L’ennui, l’attente de la sortie. Comment s’aperçoivent-ils que je ne suis plus folle ? Parfois je la cache, ma folie, je joue la comédie. Je sais comment faire, une fois, j’ai vu une psychiatre, je délirais, elle ne s’est aperçue de rien. D’autres fois, je donnais des cours à des élèves, j’arrivais à mettre ma folie en demi-teinte, pour sembler normale.
Etre normale, c’est quoi ? Savoir qu’il faut se tenir tranquille, ne pas parler tout le temps, payer ses factures et rester calme. Car quand on sort de l’hôpital, que tout est redevenu « normal », les factures sont là, l’argent, toujours l’argent, l’argent dépensé car je dépense beaucoup d’argent quand je suis folle.
Une fois, j’ai confondu un SDF avec mon amoureux et je suis allée à la banque tirer de l’argent. Je lui ai payé un survêtement Adidas puis je lui ai donné de l’argent pour qu’il achète de la drogue. On s’est trouvé tous les deux dans une cache, un homme est venu, il a pris l’argent et il a disparu. Mon SDF a disparu après m’avoir tapé sur la tête, il a pris quelques affaires, pas grand chose.
La famille s’inquiétait, mais on leur a dit que tant que je ne troublais pas l’ordre public, on ne pouvait rien faire. Je suis réputée être une adulte responsable. Les flics, je suis fichée, ils m’arrêtent et m’amènent aux urgences de la Cavale Blanche. Là je vois une psychiatre qui a le don de m’énerver. J’ai failli lui balancer son bureau dans les jambes !
On me met dans une pièce, une personne très gentille m’apporte un thé et une madeleine. Je jouis de ce moment de repos. Puis on m’envoie à Bohars : on me met dans une cellule blanche, avec un lit très haut, un seau hygiénique et c’est tout. On t’enferme à clef et voilà.
Tu mets du temps à comprendre qu’il n’y a qu’une chose à faire, se calmer. Ils t’apportent à manger, ils ne disent rien.
J’ai changé depuis ces épreuves, je ne sais pas, quelque chose de cassé, comme une fêlure. L’impression d’avoir touché le fond de la vie, d’avoir compris que j’avais eu beaucoup de chance mais que cela s’était arrêté.
« Qui frappe l’air, bon Dieu ! De ces lugubres cris ?
Nicolas Boileau
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