Marie

Marie, tu es morte. Tu étais si belle, morte. Tu es morte comme tu as vécu, apaisée.

Tu es morte dans ton lit. Au milieu de tes livres.

Tu es morte pendant que ta sœur jumelle te caressait les cheveux.

Tu m’apportes la paix.

Tout a disparu : il me reste de toi une table, des chaises, un secrétaire et quelques lithographies de Lapicque.

Marie, tu vas renaître. Dans un film. Dans le film que tu attendais avec tant d’impatience.

Tu es dans ce film comme tu étais dans la vie : calme, comme si tout était ordinaire. Tu parlais à la caméra comme tu parlais toujours.

Comme tu aimais parler, Marie. Tu parlais bien, en articulant. C’était important pour toi, de bien articuler. Tu avais pris des cours de chant et tu savais poser ta voix.

Je me souviens, j’étais petite alors et ton chant emplissait l’appartement.

Tu m’énervais parfois, Marie. Avec tes jugements à l’emporte pièce. Une telle est bête, untel est laid. Pas de quartiers. C’était ainsi. Tu jugeais et condamnais.

Cependant, quand tu aimais, c’était aussi un amour total, sans faille ni question.

Tu aimais ta mère, quand tu disais Maman, on y lisait toute l’admiration que tu lui portais. Tu la trouvais belle, intelligente, un modèle de femme.

Tu aimais aussi ta sœur jumelle, un amour de petite fille, sans condition. Jamais une critique, jamais une méchanceté. Tu aimais tes cinq neveux, ils furent les enfants que tu n’as pas eus.

Ton rire, Marie, ton rire. Comme il était beau, ton rire, et tu riais souvent.

Ton rire, ta voix, ta façon de te tenir, bien droite, ta démarche, tous ces petits riens m’accompagnent dans la vie, tes façons de garçon qui nous faisait nous demander si tu n’étais pas homosexuelle. Quand on t’a posé la question, tu as souri, Marie, simplement.

Tu as emporté ton secret avec toi.

Tu chemines avec moi, Marie. Tu étais ce qu’on peut appeler une nature généreuse.

Tu présidais aux tables du dimanche, en offrant épaule d’agneau et concombres coupés très fins. Tu t’installais dans ce que tu faisais, rien dans la demi-mesure. Un être entier.

Tu aurais pu faire de grandes choses, Marie. Etre une superbe actrice, jeune tu ressemblais à Brigitte Bardot, en plus distinguée. Tu avais l ‘étoffe d’un grand destin.

Mais tu as préféré l’anonymat. Professeur, tu étais un professeur hors normes. Tu adorais Racine et Racine te le rendait bien. Tu as séduit des générations de chanteurs, à la Maîtrise de Radio France, où tu initiais les jeunes musiciens à la tragédie. Ils s’en souviennent encore…

Une présence, une autorité naturelle. Quand tu parlais, on t’écoutait.

Des goélands devant ma fenêtre, ils me parlent de toi. Tu aimais la vie, la mer, les livres, la peinture.

Tu aimais Lapicque, ce peintre un peu oublié, que tu vénérais.

Bientôt, nous ferons un film avec mes petits enfants.

N’étais-tu pas restée une grande enfant ?

Marquée par la guerre, cette guerre où tu as eu si peur, cette guerre qui a façonné ton destin et te faisais passer des après-midis entiers sur ton lit, à lire à perdre haleine.

Tu aimais ce que j’écrivais, Marie. Tu m’as encouragée. C’est à Paris que j’ai pu trouver un éditeur. Un breton de Paris. J’écris, je publie, je suis heureuse.

Je t’aime, Marie ! Je chéris ton souvenir, il m’encourage, ton exemple me guide, tu m’as délivrée d’une peur panique de la mort… Moi aussi, je veux vivre, la mort fait partie de la vie.

Tu reposes au cimetière marin de Bréhat, une concession éternelle avec vue sur mer, au milieu des goélands et des chats, tu accompagnes les deux amours de ta vie, Lapicque et Madame Auger.

Je vais retourner dans cette île que tu chérissais tant, cette île qui t’a faite surgir des ténèbres de la mort, dans cet hôpital de Paris où, tout à coup, tu as décidé : je retourne à Bréhat.

Tout fut alors mis en place pour cette aventure et j’ai passé trois mois merveilleux en ta compagnie, Marie, trois mois de soleil et d’amour, où nous t’avons filmée, pour la postérité.

Adieu, ma belle Marie.

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