Cher toi,
Qu’est-ce qu’il a pu faire lourd aujourd’hui ! Ma petite robe me colle à la peau et j’ai repris un bain en fin de journée. Mes deux amis s’amusent beaucoup à me voir me baigner et Djamila, le femme de l’ambassadeur, m’envie, son mari ne lui permet pas de se mettre en maillot ! Comme quoi, même si Mustapha semble très ouvert, il applique à la lettre les versets du Coran. On a eu une conversation passionnante sur l’influence de la religion musulmane en Afrique. Il est indéniable qu’elle progresse comme une traînée de poudre, reléguant la religion catholique à la portion congrue. Ici, au Mambo, c’est amusant car ils fêtent toutes les fêtes, se rendant visite les uns les autres pour l’Aid El Kebir et Pâques, par exemple, le tout sur un fond d’animisme qui fait que les arabes musulmans n’ont que mépris pour les africains musulmans. Il y a une chose qu’il faut que j’éclaircisse sur le Mambo, il paraît qu’il y a un roi et des princes… L’africain qui attendait sa promise avec toute sa cour serait-il le roi ? Ma petite âme de midinette se réveille, un roi, des princes et des princesses… Cela me rappelle ma passion pour les grands empires africains, l’empire Songhaï et celui du Ghana, l’empire du Mali ! Ces cours richissimes où l’on travaillait l’or, l’or que les anglo-saxons de l’hôtel extraient à un rythme soutenu. Quel est le sens de tout cela ? Et puis ces routes, pourquoi cet intérêt pour les routes ? Mais il ne faut pas que je recommence à être trop curieuse, cela m’a déjà porté malheur une fois…
2 heures du matin
C’est mon heure. J’aimerais me pelotonner contre toi, tu me manques. J’ai aperçu un homme à l’hôtel, il est juste passé boire une bière. J’ai cru que c’était lui ! Qui, lui ? Mon grand amour à Abidjan , Marc Lafon . J’étais en reportage et je logeais à l’hôtel du Plateau. Il était mon référent en Côte d’Ivoire et je suis tombée éperdument amoureuse de lui. Un grand beau mec, un peu ton style. Il y avait un autre homme, il s’appelait François et il avait deviné ma passion. Tout le temps qu’a duré mon séjour, François m’a répété qu’il n’en valait pas la peine. Pourtant je l’aurais suivi jusqu’au bout du monde. Le week-end, je m’étais mise en tête d’apprendre à faire de la planche à voile. Lui était champion de Flying Dutchman, ces petits dériveurs ultra-rapides. Je voulais l’éblouir par mes capacités sportives. Aussi je m’escrimais à tenir sur cette maudite planche, nous étions à l’hôtel du Golf, sur la lagune et c’était très dur, le vent de terre changeait tout le temps. Je tombais à l’eau plus souvent qu’à mon tour et je rentrais à l’hôtel pour m’effondrer, crevée, sur le carrelage frais de sa chambre. Il n’était jamais seul et il me laissait affalée, sans réaction. Cette passion a duré une semaine, le dernier jour, il est venu dans mon lit, on a pris un plateau-repas, on a regardé la télé, j’étais plus morte que vive, mais lui, très à l’aise, a tout mené sans s’approcher de moi. Je suis repartie la mort dans l’âme, le lendemain. Je suis retournée auprès de mon mari, à qui j’ai tout raconté. Pour mon mari, l’essentiel, c’était que je sois revenue. J’ai compris que chaque fois que je partais, il tremblait que je ne revienne pas… Jusqu’à ce jour où je ne suis pas revenue… Le plus drôle, c’est que ma passion s’est éteinte un beau matin, quelques jours seulement après mon retour. Est-ce lui que j’ai aperçu ? Peut-être… Tu m’as dit que tu n’es pas jaloux, je le crois et je te raconte mes amours comme toi tu me racontes les tiens. Il y a cette Claire qui te tourne autour … Me restes-tu fidèle ? Je l’espère ! Tu me dis que tu vas profiter d’un pont du mois de mai pour me faire la surprise de venir me faire un petit coucou : cela me ferait très plaisir !
Voici un poème que j’aime particulièrement, de Victor Segalen
Libère en moi-même, ô Prince qui es moi, tous les
beaux prisonniers-désirs aux geôles
arbitraires, et qu’en grâce et retour, tombent sur mon Empire les gouttes larges de la
satisfaction.
Je t’embrasse tendrement, ta Nadine
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