Paris ( suite )
Durant des années, mon Paris était étrange : j’allais de l’ambassade du Burkina Faso à celle de l’île Maurice, de celle de la Jamaïque à l’office du tourisme des états caraïbes. C’étaient mes amis. Comment cela s’est produit alors que j’habitais Arcachon ?
Tout simplement parce que la Foire de Bordeaux cherchait quelqu’un qui connaissait « ces gens là » pour seconder le fonctionnaire européen en charge des pays ACP, d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique. Ils ont pensé à moi qui arrivait tout juste du Palais des Conférences du Gabon. J’étais donc l’assistante du fonctionnaire italien. Vous me direz : mais que fait l’Europe dans cette histoire ?
Tout simplement parce que les pays ACP, les ex-colonies européennes, sont associés à l’Europe par la convention de Lomé. Un budget de développement est alloué à ces pays et une Direction Générale gère les projets à la Commission Européenne de Bruxelles. Je travaillais avec le service qui s’occupe du développement du commerce et du tourisme. A ce titre, la commission finance les participations des états ACP dans des foires et salons européens. Pour la France, il s’agissait du salon du Tourisme de Paris, de la foire de Paris, Rouen et Bordeaux, du salon de l’alimentation à Paris, de la Semaine du Cuir et du salon du Prêt à Porter. J’ai bien vite saisi l’opportunité qui s’offrait à moi et j’ai dit au fonctionnaire européen que je n’avais aucun problème pour travailler à Paris. Mon père, qui était aussi en contact avec l’Europe, m’avait dit : l’essentiel, c’est de faire un bon rapport. Et j’y travaillais à mon rapport ! J’ai exercé ce métier pendant seize ans ! C’était idéal pour moi : tout le monde arrivait de partout et l’on se retrouvait avec plaisir. Ces intermèdes de travail me permettait de m’occuper des enfants à Arcachon et de travailler.
J’ai un problème avec la régularité et je disais toujours : j’obéis déjà à mon mari, je ne vais pas en plus obéir à un patron ! Faire mon travail la journée et m’occuper de la maison, des enfants, de la cuisine, des devoirs en rentrant, très peu pour moi. Et envisager de faire tous les jours la même chose au même endroit avec les mêmes gens me rend dingue ! J’adorais parler de l’Afrique dans les stands où nous nous retrouvions, les exposants et moi.
Il y a une ambiance spéciale dans les salons, une excitation à se retrouver différents, ailleurs, dans ces lieux inhabituels. Mon travail consistait à m’occuper de résoudre les problèmes qui pouvaient se poser, j’avais appris une chose avec les africains, c’est à ne pas aller au devant des difficultés et laisser du temps au temps. Par exemple, une année, à la Foire de Bordeaux, toute la marchandise du Sénégal avait été bloquée parce qu’il manquait un papier. Grosse émotion ! La fonctionnaire européenne prend fait et cause pour le Sénégal, moi je ne bouge pas, j’observe le stand. Les sénégalais sont assis et ils attendent. Je viens aux nouvelles, rien n’est débloqué. Et puis un beau jour, toute la marchandise est là ! Je me renseigne : l’un d’entre eux est parti au ministère à Paris et il a eu le papier. La fonctionnaire européenne, une luxembourgeoise, en était toute déconfite.
Une autre fois, le Sénégal n’était pas arrivé, le Burkina Faso me demande son stand, mieux placé. Je dis oui. Mal m’en a pris : le technicien n’avait pas enlevé le nom Sénégal et quand le sénégalais est arrivé, grosse esclandre ! Le sénégalais m’a même déclaré que c’était un stand sous règlement diplomatique ! J’étais très embarrassée, il fallait qu’il y ait une solution sans que personne ne perde la face. Je me suis dit : je vais agir à l’africaine… J’ai choisi un ivoirien que je connaissais bien et je l’ai chargé de faire la liaison entre les trois protagonistes. Il allait de l’un à l’autre pour négocier. Tout est rentré dans l’ordre et j’ai été félicitée par tous les africains ! C’était extrêmement enrichissant comme métier. J’ai appris comment l’on tannait le cuir, comment l’on vendait un pays, de l’artisanat.
Au salon de l’Alimentation, le soir, on se retrouvait tous, la république dominicaine apportait le rhum, la Côte d’Ivoire le jus d’ananas, la Jamaïque le sirop et nous faisions des banana split ! On restait tard, au grand dam des gardiens qui nous chassaient de leurs chiens loups.
Une dernière chose : en Afrique, tu fais attention car tu ne sais jamais à qui tu parles. Je m’explique : un modeste artisan peut être apparenté à tel ou tel ministre et si tu le contraries, il peut te mettre dans les pires difficultés.
« Pour entendre chanter encor dans les agrès
Les longs alizés nostalgiques, « Marcel Thiry
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