J’aime la Russie. Je révise mon russe, j’avais envie d’y retourner. Moment mal choisi.
Je suis tombée amoureuse de la Russie et j’ai décidé de faire du russe. A Dakar, nous sommes allés voir les chanteurs de l’Armée rouge et ces voix qui montaient, qui descendaient, toutes ces belles voix d’hommes m’ont enthousiasmée. Je goûtais en outre la différence entre ces hommes venus du nord et l’Afrique. J’ai ensuite été bouleversée par la photo d’une petite fille dans une isba qui avait l’air si triste… C’était un numéro consacré à la bataille de Stalingrad.
C’est la rentrée en quatrième au lycée Van Vollenhoven de Dakar. C’est l’appel. Je suis inscrite dans une classe d’espagnol. Je me dis : pas question ! Tout le monde rentre en classe, je reste dans la cour, seule, au pied des grands escaliers. J’attends. Quelqu’un vient me voir. Je réitère ma demande : je veux faire du russe ! Et j’ai fait du russe.
Nous avions cours dans une petite salle située dans un des piliers du bâtiment des années trente et le soleil jouait dans les moucharabiés. Notre professeur était une sibérienne qui venait direct d’URSS. Elle avait le mal du pays et nous faisait traduire des textes portant sur la neige, le ski, elle nous racontait qu’elle cassait la glace pour se baigner… Cela nous plongeait dans de grandes rêveries, j’étais la seule à avoir vu la neige et si peu… J’adorais ce décalage entre l’Afrique et les grandes plaines de Russie. C’était très amusant, les cours. Il y avait les kolkhozes, les pionniers, les tracteurs, la révolution. Nous savions tous que Lénine s’appelait Wladimir Illitch Oulianov et que sa femme s’appelait Nadejda Kroupskaia, espoir en russe. Il y avait beaucoup de textes sur la dernière guerre qui a fait 30 millions de morts en URSS. J’aimais les descriptions de la vie des partisans qui se cachaient dans les forêts pour attaquer les nazis. L’auteur racontait leur vie puis le texte partait dans de grandes descriptions de la forêt. Tout à coup, l’auteur se rappelait qu’il parlait des partisans et il reprenait le récit de leur vie.
Ce que j’ai aimé en russe c’est aussi que nous étions peu nombreux et que l’on travaillait dur, pas question d’attendre, comme en anglais, une hypothétique interrogation.
A Brest, j’avais un très bon professeur de russe, bretonnant et communiste, si bien que je faisais du breton avec lui, j’adorais ce mélange. Il faisait des parallèles entre les différentes langues, leurs similitudes, leurs différences, les choix faits pour exprimer telle ou telle idée. Ce fut à l’origine de mes études de linguistique.
Une langue, c’est l’âme d’un peuple, nous disait-il et la Bretagne a perdu un peu de son âme en perdant sa langue…
Comme j’étais nulle en mathématiques, j’ai pris russe en première langue au bac et j’ai eu 15 ! Après l’examen, je suis partie avec une amie en URSS. C’était en 1974, sous Bréjnev. L’URSS était encore très fermée et nous sommes partis en voyage organisé. Organisation à la russe, c’est à dire qu’en arrivant à l’aéroport de Moscou nous avons attendu des heures avant de partir en autocar dans un cinéma voir des films de tracteurs et de moissonneuses batteuses. Ensuite on nous a déposés devant la gare de Kazan, où nous devions aller. Nous étions groupés devant la gare, heureusement il faisait chaud. A un moment, j’avais envie d’aller aux toilettes. Je suis rentrée dans la gare, elle m’a paru très grande, il y avait là des gens qui dormaient sur un banc, d’autres qui dormaient par terre. Les toilettes n’avaient pas de portes et l’on pouvait voir des femmes de tous âges en train d’uriner. Il s’élevait une odeur aigre de l’endroit.
Nous sommes restés face à la gare jusqu’à minuit puis on nous a conduit dans un train couchettes. Nous sommes partis. Le lendemain, nous roulions dans une forêt de bouleaux. En fait, la forêt russe, c’est à Moscou, un pin pour des bouleaux et à l’arrivée à Kazan, un bouleau pour des pins. Cela donne une impression d’espace. Le train s’arrêtait parfois dans de petites gares où des femmes vendaient des baies de la forêt. Dans chaque wagon, il y avait une petite pièce où une femme se tenait près d’un samovar, nous n’arrêtions pas de boire du thé.
Nous avons roulé seize heures et j’aurais bien continué, j’ai toujours rêvé de faire le transsibérien…
« J’étais à Moscou, dans la ville des mille et trois clochers
et des sept gares… Blaise Cendrars
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