Question angoissante : que répondre ? Je ne sais pas d’où je suis. D’avoir beaucoup bougé me rend adaptable partout et je me sens vite de l’endroit où je suis. Ainsi de Paris, de Brest, d’Argenton, du Midi, d’Afrique, de Bréhat. J’adore me déplacer, j’aime me fondre dans le paysage et devenir « du coin ». En ce moment je suis à Bréhat et je m’y sentirais presqu’insulaire…
Quand j’étais petite, pour trouver une réponse, je disais : je suis d’Argenton, à côté de Brest. Le pays de mon père, qui, né au Havre, n’avait passé que peu d’années dans le village. Mais c’était décidé, j’étais bretonne. Quand j’ai quitté Arcachon pour Brest, je me suis rendue compte que je n’étais pas considérée comme brestoise. Cruelle déception…
A Argenton, l’été, comme j’enviais les petites filles qui dansaient en costumes folkloriques. Nous on bougeait tout le temps et là où on était, il n’y avait pas de troupes. Je me souviens : une fille d’Argenton me demande : tu habites où ? Je réponds : à Dakar. On dirait pas, rétorque-t-elle faisant allusion à ma blancheur.
A Meudon, où nous sommes restés deux ans, au lycée, une fille me demande : tu viens d’où ? Je lui raconte, de Lorient, du Maroc, d’Espagne, du Midi, de Dakar, elle s’exclame : mais tu es une romanichelle !
Donc cette question, en apparence anodine, me plonge dans l’expectative. Mon père est né au Havre où son père travaillait à la Transat, ma mère est de Paris, de Nantes, de Lorient et de Normandie, nous passions du temps dans les différentes maisons de famille où nous savions que nous devenions les petits Gallouën, les petits Maublanc, notre vrai nom n’étant qu’anecdotique. Le plus rigolo c’était à Argenton où ma grand-mère paternelle nous interdisait de dire bonjour aux Duchentil, ces brestois et parisiens qui avaient pris notre côte et construit leurs maisons sur le port d’Argenton, notre port. Le plus étrange, c’est qu’en Normandie, nous habitions « le Château » et qu’à La Birochère, du côté de Pornic, nous avions toute la presqu’île!J’ai appris ainsi à ne pas trop m’attacher aux apparences, aux milieux. Une embarrassante question était de savoir si nous étions des bourgeois. Je me souviens, nous avions eu un grand conciliabule à l’Aber Wrac’h, où mon père avait construit une belle maison avec vue imprenable sur la mer. Nous n’avons pas su répondre, bien sûr notre niveau de vie faisait de nous des bourgeois mais notre mode de vie ne nous apparentait pas à ces gens qui thésaurisent toute leur vie. Mon père avait de bons salaires et sa devise était : l’argent, c’est fait pour être dépensé ! « Et, avec cinq enfants, l’argent était bien dépensé, je me souviens en Côte d’Ivoire, il y avait un très bel hôtel dénommé l’hôtel Ivoire, nous y allions prendre l’apéritif en début de mois et nous mangions des pâtes en fin de mois en attendant que l’argent revienne.
Tu es d’où ? Je crois que la réponse la plus proche de la vérité serait que je suis une bretonne de la diaspora. J’ai dit ça à un pompiste, du temps où il y avait des pompistes, j’arrivais d’Arcachon pour aller à Brest, j’ai cru qu’il allait laisser tomber sa pompe. Je me suis dit que ce n’était pas encore ça…
Là où je me sens le mieux, c’est l’été à Argenton. Tout le monde vient de partout, de Paris, de Tahiti ou de Montpellier, tout le monde est né n’importe où, mais tout le monde se sent d’Argenton, ce petit port du bout de la Bretagne, perdu en face de Ouessant… nous nous retrouvons avec plaisir et nous nous voyons vieillir sans déplaisir.
Je suis d’Argenton l’été, pas l’hiver. Quand je suis restée à Brest toute l’année, je me suis vite aperçue que les gens d’Argenton avaient leur vie et que je n’en faisais pas partie.
Tu es d’où ? Nancy Houston répond : j’ai beaucoup déménagé !
Oscar Wilde a répondu : je n’ai pas de racines, je ne suis pas une plante verte …
« Passons passons puisque tout passe
Je me retournerai souvent
Les souvenirs sont cors de chasse
Dont meurt le bruit parmi le vent. «
Guillaume Apollinaire
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