Du plus loin que je me souvienne, il y a la mer. Et des bateaux. D’abord, honneur au plus grand : le Foucault « des Chargeurs Réunis. Un paquebot qui faisait encore la ligne régulière Bordeaux- Pointe Noire. Pour le terminus, il n’y avait plus qu’un seul passager, un médecin que nous les enfants considérions avec respect. Nous avions peine à l’imaginer tout seul dans ce grand bateau.
Nous étions une bande d’enfants et le bateau était à nous. Il y avait la piscine, notre quartier général.
Il y avait ensuite les grandes salles à manger, où nous nous retrouvions en famille. Il y avait aussi le cinéma, un cinéma dans un bateau ! Et nous allions à toutes les séances, aussi bien des premières que des deuxièmes classes. Personne ne nous disait rien, les adultes avaient comme disparus.
Nous avons fait escale à Madère et je me souviens, contemplant une baie où se trouvait notre paquebot : je suis dedans, je suis dans l’image ! Madère c’était très beau, le vert sur le noir, le soleil et les maisons comme en carton-pâte. Le matin, il y avait des sortes de traîneaux tirés par des zébus. On voulait y aller, mon père a dit : cet après-midi. Mais il n’y en avait plus. On s’est vengé en achetant des paniers décorés de broderies, des petites poupées folkloriques vendues par des femmes qui les portaient encore, les costumes traditionnels. A cette époque là, on était en 1964, il n’y avait pas encore de tourisme de masse et nous étions les seuls à profiter de l’île.
Nous sommes repartis et nous sommes arrivés à Dakar. C’est la plus belle façon d’arriver dans un port, par la mer !
Donc, nous avions formé des bandes sur le bateau, il y avait les filles et puis les garçons qui embêtaient les filles en sautant à côté d’elles pendant qu’elles se bronzaient. L’une des bandes était commandé par un dénommé Marc et un jour, alors que nous venions de nous installer dans notre villa, il est arrivé chez nous, les parents avaient sympathisé ! Nous, nous avions un jeu amusant pour les enfants invités : la villa était entourée d’une plate-bandes de petits piments. Nous leur disions : goûte et surtout mâche bien ! Et nous éclations de rire quand on les voyait se précipiter vers leurs parents en hurlant…
Mais revenons à nos bateaux. Le deuxième, c’était le Requin de la société de mon père. C’était un beau bateau en bois qui avait la particularité de passer dans les vagues et non pas au dessus. On était très rapidement trempés et frigorifiés car, à la saison sèche, à Dakar, il ne fait pas très chaud.
Le troisième, ce fut le paquebot espagnol que nous avions pris à Las Palmas aux Canaries où nous étions arrivés en avion depuis Dakar. C’était un bateau où s’étalait le goût espagnol, tout en jaune, rose, vert, à tel point que dans la salle à manger par exemple, je disais qu’on était malade rien qu’à voir la décoration. Il y avait comme non espagnoles, en dehors de nous, deux vieilles allemandes que mon père avait surnommées Ernestine et Anastasie, le paquebot s’appelant l’Ernesto Anastasio.
On a eu une traversée très pénible et ma mère et moi, qui n’étions pas malades, étions les deux seules convives entourées d’une nuée de serveurs. Comme je ne parlais pas espagnol, je me suis un peu ennuyée, je me souviens d’une dame qui voulait que j’apprenne le français à sa fille. J’étais offusquée : elle ne me payait pas !
Nous sommes arrivés à Barcelone où nous avons visité le zoo. Il y avait des français de France, des vrais français. Comme nous nous pressions autour d’eux pour voir leurs têtes, ils n’arrêtaient pas de dire : nous, à Lyon, la girafe est plus grande, nous, à Lyon, il y a deux crocodiles. Nous sommes repartis déçus, les français de France étaient un peu bizarres !
Le quatrième bateau, ce fut le Bou El Mogdad, qui remontait le fleuve Sénégal depuis St Louis jusqu’à Podor où le fleuve n’était plus navigable. Toute la société de mon père était là, beaucoup de nos copains. C’était très beau, il y avait encore des pirogues à voile. A un moment, nous nous sommes échoués. Le commandant nous dit de tous nous mettre d’un côté, sauf mon père qui disait que cela ne servirait à rien. Puis, il change d’avis, vient vers nous et le bateau se remet à flotter. Immense éclat de rire. Nous avons dîné dehors, un m échoui avait été préparé par les villageois. Splendeur de la nuit tropicale, chaleur, sourires, bijoux des femmes toucouleurs. Il y a des moments où l’on voudrait que le temps s’arrête…
« Le ciel est par dessus le toit,
Si bleu, si calme ! « Paul Verlaine
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