Bréhat

Je n’ai jamais été folle à Bréhat et cela me repose l’esprit.

C’est un peu dur parfois de toujours vivre dans le théâtre de mes délires, de revoir par exemple tous ces grafs que je pensais m’être destinés. Ce fut un véritable jeu de piste où les bouteilles posées là, les déchets près des poubelles, tout était signe, émotion aussi.

Comme cela fatigue d’être folle ! J’ai l’esprit qui tourne à pleine vitesse, je parle tout le temps, je ne dors plus. Je n’arrive plus à savoir quel jour on est, si c’est le jour ou la nuit. Je me souviens d’une fois, dans mon ancien appartement, je suis sortie, je ne voyais personne, j’ai cru qu’il y avait eu une explosion nucléaire et que tout le monde était mort, ne restait que moi.

Angoisse totale…

C’est étonnant comme cela demeure, les souvenirs des délires.

C’est quoi être fou ?

J’utilise ce mot en sachant qu’on ne doit plus le dire, mais moi ça me plaît. Cela me rappelle peut-être le fou du roi, celui qui avait le droit de dire ce que personne n’osait dire. Il y a cette dimension dans ma folie. J’ose tout casser, aborder les passants, crier, chanter à pleine voix, me promener nue ou demi-nue, dépenser mon fric à des vêtements, exploser en quelque sorte. Faire ce que la société interdit de faire, en fait je me défoule.

Quand je ne suis pas folle, je me fais l’effet d’être une personne très raisonnable, avec un sur-moi très important. J’ai en effet été bien élevée, je suis polie et courtoise, je m’habille d’une façon peu voyante, jean et pull, peut-être de couleurs un peu trop vives pour être bourgeoise… Mais là s’arrête mon originalité. Je suis calme et pondérée, j’aime être seule et apprendre, j’aime faire travailler mon esprit.

Mais là quand je suis folle, je me défoule. Il y a des moments de pur bonheur, dont l’intensité est incroyable. J’ai eu ce qu’on pourrait appeler des visions, j’ai vu dans un jardin ce qui m’a semblé être le paradis avec un homme et une femme du Moyen Age, dans le jardin d’amour, ils me semblaient comme en apesanteur. Il y avait des pommiers et c’était magnifique. C’était moi et mon amour de l’époque. Il y eut une autre fois, rue St Malo derrière les maisons, dans ce petit chemin qui longe les maisons, je m’imaginais être une princesse bretonne qui habitait là. J’ai vu la cour du duc de Bretagne, j’en garde un souvenir ému.

Une autre fois, j’étais la reine de France et j’exigeais qu’on me parle comme à une reine.

Cela doit venir de mes jeux avec les poupées folkloriques de la duchesse Anne, d’une femme de Ouessant et d’autres encore que j’organisais en cour. Les délires, c’est un peu comme dans les rêves, tout devient possible, sauf que ça ne s’arrête pas tout seul.

Mais aujourd’hui je suis à Bréhat. Mon île. Je retrouve des têtes connues, je suis heureuse.

«  Tout à coup je ris et je larmoie,

Et en plaisir maint grief tourment j’endure :

Mon bien s’en va, et à jamais il dure :

Tout en un coup je sèche et je verdoie.

Louise Labé

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