7 novembre – 16h
J’aimerais faire un film sur la folie, un film en trois parties. La première partie, ce serait la folie, le délire, cette errance hallucinée dans Brest, ses rues vides, ses immeubles aux mille fenêtres, cette voix qui me fait parler, parler, parler. Cette force aussi qui me fait tenir sans manger, sans boire, sans dormir. Comme me l’a dit un psychiatre de Marseille : vous, vous êtes une exaltée. On ne vous changera pas. Mais si vous ne mangez pas, vous ne dormez pas et que les gens vous regardent bizarrement, c’est que ça ne va pas.
C’est ce qui m’a sauvée en 2000. tout à coup, je me suis rappelée les paroles du psychiatre, je suis rentrée chez moi, j’ai pris du Lexomil pour dormir et ça allait mieux. Je suis quand même allée à la clinique de Guipavas mais au bout de deux jours j’étais revenue et j’interviewais les infirmières pour passer le temps. A ma demande,ma mère m’a apporté mon ordinateur portable et j’ai commencé à écrire. Un curé qui passait par là, me voyant occupée à écrire en écoutant de la musique classique, s’est excusé et m’a dit que je n’avais pas besoin de lui.
La clinique de Guipavas, on y mange bien, les pensionnaires sont intéressants, les relations sont faciles, chacun sait pourquoi vous êtes là et l’on se raconte vite. Bas les masques !
La deuxième partie, c’est justement l’hôpital. Tous ces gens qui s’y retrouvent, un peu cassés, un peu bizarres, un peu partis. Il y a une grande différence entre la clinique de Guipavas et l’hôpital de Bohars. La première trie les arrivées, elle est chère, tandis que l’hôpital prend tout le monde. Et là c’est dur. Mais ces hôpitaux de Brest ne sont rien par rapport à l’hôpital de Paris. Là, j’ai fui, ils ramassent tout et n’importe quoi des rues de Paris, des putes, des dealers, des trafiquants qui vous abordent en vous proposant du shit, des affaires, de l’argent facile. J’ai supplié pour partir, rentrer en Bretagne, si je restais, je devenais vraiment folle.
La troisième partie, c’est ce que j’écris, la sortie de l’hôpital, le retour dans la vie quotidienne. Et après l’excitation des grands jours, où l’on fait tout ce qui vous passe par la tête, sans censure, retrouver les factures impayées, l’appartement dévasté, le regard des voisins, le jugement des amis qui deviennent souvent d’ex-amies, essayer de reprendre ses marques, de retrouver une vie, des projets alors que tout semble fade, vide, sans épaisseur…
C’est là mon problème : comment retrouver cette liberté dans la vraie vie, celle qui me fait créer sans entraves. Dans la vie quotidienne, je me trouve sage, raisonnable. Dans le délire, je réalise mes rêves, j’apostrophe les gens, je ris, je pleure, c’est dur mais c’est beau.
De retour dans la vie, comment retrouver cette dimension, cette envergure, cette folie ? Etre folle sans danger, sans que cela n’aille jusqu’à la violence, la peur, l’horreur, l’envie d’en finir ? J’envie, ô j’envie ces artistes qui arrivent à trouver cette liberté de créer sans entraves, sans risques non plus.
Vous me direz que ce n’est pas sans danger, qu’ils finissent fous, dévorés par l’alcool, la drogue… Pas tous cependant.
« J’aime le souvenir de ces époques nues,
Dont Phoebus se plaisait à dorer les statues,
Alors l’homme et la femme en leur agilité
Jouissaient sans mensonge et sans anxiété,
Et, le ciel amoureux leur caressant l’échine,
Exerçaient la santé de leur noble machine. «
Charles Baudelaire
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