6 novembre – 16h
Je sors de ma sieste, la bouche pâteuse.
Les médicaments me font beaucoup dormir, un sommeil lourd, sans rêves. Il ferait presque beau. Je me glisse hors de la maison, silencieuse. Je passe d’abord voir les arbres, je les aime, ces arbres, j’ai l’impression qu’ils me parlent. J’ai lu quelque part qu’ils sont une merveille d’équilibre, car ils se calent sur le vent, la pluie, ils cherchent la meilleure façon de se protéger. Je les regarde, éblouie, j’apprends moi aussi à rechercher mon équilibre.
Puis c’est la mer, l’immensité de la mer. Je prends le chemin qui grimpe sur les rochers, le vent joue dans mes cheveux. Je me sens mieux. Je respire. Voilà, c’est fini, le cauchemar est terminé, tu es libre. Finies ces longues heures d’attente dans la salle de l’hôpital, ces promenades désespérées dans le grand parc, tous les moyens de tuer le temps et que les médicaments agissent. Finies ces inspections où la psychiatre, entourée des infirmières et de l’interne, surgissaient dans ma chambre et regardaient mes dessins, mes collages, tout ce qui m’aidait à vivre.
L’ennui à l’hôpital, l’ennui que tu sens sur toi, que tu respires, que tu mâches. Pas moyen de lire, je n’arrivais pas à me concentrer.
Et puis il y avait ces moments de répit, l’ergonomie, deux après-midi par semaine. Les couleurs, toutes ces couleurs dont je ressentais l’intensité au plus profond de moi-même. Je les touchais, les étalais, en formant des formes étranges, étrangères… Quel bonheur !
Ce hâvre de paix finissait toujours trop tôt, il me fallait rejoindre le troupeau des autres, tous ces gens qui partageaient ma galère. Le dîner, tôt, trop tôt, puis la distribution des médicaments. J’ai de la chance, je réagis bien et vite aux pilules qu’on me donne.
Je marche dans le vent, je me calme, je mâche des vers, je suis heureuse devant ce paysage que je connais par cœur, tout va bien, tu verras.
Demain je retourne à Brest : comment va se passer le retour ? Alertés par une amie qui s’inquiétait de ne pas me voir à Marseille, ils ont forcé ma porte et se sont rendus compte que j’avais disparu. Ils m’ont retrouvé car je suis fichée. Tout cela à porter, tous ces gens à revoir, tout ce passé à endosser…
Et mon film ? Le producteur doit être au courant, comment faire pour regagner sa confiance ?
Je marche dans le vent, la tête me tourne, je suis fatiguée. Je rentre vers mon destin… Je vais me pelotonner dans mon lit et tout oublier en m’absorbant dans un livre décrivant les turpitudes de la Françafrique, la mafia Bolloré ne me suit plus mais cela me fait du bien d’éclairer mes peurs.
« Dans la vérandah de sa case, à Brazzaville,
Par un terrible clair de lune congolais
Un sous-administrateur des colonies
Feuillette les « Poésies » d’Alfred de Musset…
Henry Jean Marie Levet
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