Cher toi,
Je voudrais arriver à te faire comprendre pourquoi j’aime tant l’Afrique. J’aime la force de ce continent si décrié. Je ne trouve pas les mots, cela viendra peut-être plus tard.
J’ai été très déçue par mon entrevue avec le Roi. Ce n’était pas le flambant inconnu de l’avion avec sa princesse, c’était un homme entre deux âges pas vraiment beau, pas vraiment bien habillé, pas vraiment imposant. Je n’ai rien compris à ce qui s’est passé, je n’avais pas les codes. J’ai vu plein de gens rangés devant un homme qui faisait mine de sortir d’une espèce de cabane et qui s’apprêtait à monter à cheval quand, petit à petit, se détachait un homme de chaque groupe qui s’approchait du Roi. Il lui parlait, celui-ci l’écoutait puis le même manège recommençait. L’ambassadeur m’a expliqué que le Roi venait du Ghana et que chaque vendredi, il se préparait à repartir. Toute la cour, tous les corps de métier l’imploraient alors de rester une semaine encore. Et ainsi de suite.
Le Roi est alors rentré dans son palais, une grande villa des années trente et il nous a reçu, l’ambassadeur et moi. J’ai fait une espèce de courbette, je ne savais pas très bien quoi faire. Le Roi m’a fait un signe et Mustapha a donné les cadeaux dont s’est emparé un homme à côté du Roi. Puis nous sommes sortis, c’était fini.
Ce n’est pas l’Afrique que j’aime, celle que j’aime est plus vraie, plus authentique. C’est une impression indéfinissable, un bien-être dont je ne m’explique pas l’origine. Tout ce que je pourrais dire sonne creux, sonne faux, comme beaucoup de ce qui s’est passé depuis mon arrivée.
2 heures du matin
L’Afrique de mes souvenirs. Dans notre chambre, mes sœurs et moi, on faisait la sieste, il faisait chaud, on apercevait le jardin par les fenêtres sans vitres, juste du fer forgé qui laissait passer un petit vent venu de la mer, toute proche. C’est cela que je retrouve à Niokokro, c’est ce souffle, cette matité de l’air, ces odeurs aussi. C’est étrange comme tout paraît plat quand on rentre en France. Ici, il y a une épaisseur, une densité, cette chaleur… Nous étions dehors avec l’ambassadeur, Marc, Françoise et moi et la nuit venait de tomber, cette nuit moite et odorante, qui enveloppe et protège, cette nuit chaude comme une mère. J’aimerais te faire connaître cela, que tu comprennes mon amour pour cette terre. J’aime aussi les gens, tous ces gens partout qui fait que tu n’es jamais seule. La simplicité des rapports humains, fausse simplicité d’ailleurs. Il n’y a pas plus compliqué que ces rapports humains, régis par des codes implacables. En Côte d’Ivoire où il n’y a pas moins de soixante ethnies, j’adorais les livres des anthropologues qui analysaient les codes de parenté. C’est ce que veulent fuit maintenant les jeunes quand ils quittent les villages. Ils cherchent la liberté et ne trouvent que la pauvreté. Ou ils émigrent… Avec tous les dangers que cela comporte.
Une musique, une voix, une odeur, un geste, un goût et tout me revient. Je suis bien. Demain je retourne à l’hôtel, on attend les otages d’une minute à l’autre. Ils sont en bonne forme. J’ai hâte de revoir Karim, le libanais, qu’il me raconte. Afrique, Afrique éternelle, parcourue de mille petits canaux secrets, invisibles à un œil occidental… L’Afrique et son mystère, ses mystères…
Tu viens quand ? Tout va bien, le pays est calme à nouveau. Jusqu’à la prochaine fois, t’inquiètes-tu. Jusqu’à la prochaine fois… mais je serai mieux armée et mieux protégée encore qu’avec l’ambassadeur, j’étais en lieu sûr. Je suis invitée quand je veux en Algérie et j’irai avec plaisir découvrir ce pays à l’histoire tellement liée à la nôtre.
Ciel brouillé de Charles Baudelaire
On dirait ton regard d’une vapeur couvert ;
Ton œil mystérieux ( est-il bleu, gris ou vert ? )
Alternativement tendre, rêveur, cruel,
Réfléchit l’indolence et la pâleur du ciel.
Je t’embrasse de tout mon cœur, Ta Nadine
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